Le café de spécialité, plus connu sous le nom anglais « specialty coffee » a le vent en poupe ! Si ce terme date des années 1970, il s’est diffusé comme une trainée de poudre surtout à partir des années 2010 parallèlement à ce que l’on a appelé « la troisième vague » du café. Venu des Etats Unis, d’Australie puis de certains pays d’Europe du Nord, cette troisième vague s’est imposée dans le monde. Elle se caractérise par un engouement nouveau pour les origines du café, ses qualités gustatives et aromatiques. Les coffeeshops nouvelle génération ont fleuri un peu partout, l’espresso partageant désormais la vedette avec d’autres méthodes comme Hario, Chemex, Aeropress… Les influences anglo saxonnes ont fait naître un nouveau vocabulaire (long black, flat white, drip coffee, slow coffee…), et s’expriment jusque dans le décor avec les murs en brique rouge et les « barista hipsters » importés de Brooklyn.
Le café de spécialité en quelques mots
Le café de spécialité est à la fois une appellation et un marché spécifiques. Pour entrer dans la catégorie des cafés de spécialité, un café doit associer plusieurs critères : une traçabilité précise, une note de dégustation d’au moins 80 points (sur un total de 100) et une attention particulière à la torréfaction adaptée à chaque origine. Ces critères sont beaucoup moins évidents qu’il n’y parait et ceci explique pourquoi la SCA (Specialty Coffe Association), l’institution faisant autorité dans le domaine, n’a jamais publié de définition précise et concise du café de spécialité.
La traçabilité
Ce concept est le plus important à mes yeux. Il est à l’origine de notre projet né en 2007 : valoriser des terroirs découverts dans le district de Gidaamii en Ethiopie. Lorsque je me replonge dans ces années, je mesure le chemin parcouru dans le monde du café avec la généralisation des cafés de spécialité. En 2007, la quasi totalité du café de cette région était exportée sous l’appellation très générique de « Nekemte » au détriment de terroirs plus confidentiels qui auraient dû se démarquer par la qualité de leurs productions. Aujourd’hui, la notion de terroir dans le café est devenue quasiment une évidence notamment grâce à l’engouement pour le « café de spécialité ». Cette traçabilité nouvelle se lit sur les étiquettes, et l’amateur de café découvre des noms de fermes, de coopératives ou même de producteurs.
Selon le pays, la région ou terroir, la traçabilité peut recouvrir des réalités différentes liées aux contextes spécifiques : en Amérique centrale, la ferme est la référence alors qu’en Ethiopie, le centre de traitement des cerises de caféier autour duquel se rassemblent des coopératives de petits producteurs est le modèle le plus fréquent. Il est donc difficile de définir en quelques mots ce que doit être la traçabilité pour qu’un café puisse entrer dans la catégorie « café de spécialité ». L’essentiel étant pour le vendeur d’être capable d’expliquer les réalités géographiques, agricoles (variétés de caféier, méthode de traitement), voir sociales, culturelles et même économiques que recouvrent un nom ou une appellation spécifique.
Le score, un critère objectif ?
Pour être habilité à établir une notation il faut avoir reçu la formation et le diplôme Q Grader délivrés par le Coffee Quality Institute, une fondation américaine dédiée à la promotion du café de qualité. Cette formation exigeante dure quelques jours et se solde par un examen qui est rarement réussi du premier coup. Le score d’un café est établi à l’issue d’un protocole précis appelé « cupping » qui consiste à attribuer des notes à l’arôme, au goût, la longueur en bouche, l’acidité, le corps, l’équilibre (balance), la netteté ou propreté, la sucrosité, l’uniformité et l’appréciation globale de la tasse (méthode brésilienne). Si la formation Q Grader permet d’établir un protocole et un langage commun, il est, selon moi, difficile de parler de critères objectifs car pour noter le corps, l’intensité aromatique… chaque goûteur se réfère nécessairement à sa culture gustative (on note par comparaison à ce que l’on a goûté auparavant).
Dans la méthode brésilienne on laisse simplement le café infuser
Plus problématique est la question de conflit d’intérêt. Car dans la grande majorité des cas, les Q Graders qui notent les cafés sont associés à un négociant ou un importateur, parfois la marque ou le torréfacteur établissent leur propre notation, et, dans des cas plus rares les producteurs ont eux aussi leurs Q Graders. Dans tous ces cas, on comprend aisément l’intérêt de chacun des acteurs d’avoir la note la plus élevée. L’enjeu est de taille, sortir du marché conventionnel déterminé par les bourses de New York et de Londres pour le « specialty coffee market » beaucoup plus favorable à la négociation.
La torréfaction
Si le café vert porte déjà l’appellation « café de spécialité » lorsqu’il arrive chez le torréfacteur, reste l’étape de la torréfaction, révélateur indispensable du potentiel aromatique associé à chaque terroir. Autant vous dire que même un café exceptionnel ayant obtenu la note de 90 peut être ruiné par une torréfaction ratée ou non maîtrisée. Dans la grande majorité des cas, le protocole de notation a été réalisé en amont de la vente au torréfacteur. Le café testé a été torréfié avec un profil de cuisson adapté à la méthode brésilienne qui sera rarement le profil retenu par le torréfacteur pour sa commercialisation. Le torréfacteur est souvent le dernier maillon dans la chaîne qui relie la cerise de caféier au consommateur ou au barista. Il est donc essentiel que l’ensemble des informations accompagnant un café de spécialité soit correctement relayé et que le torréfacteur communique sur son apport (type de torréfaction et surtout résultat en tasse pour chacune des méthodes de préparation).
En conclusion
L’appellation « café de spécialité » a le mérite d’élever les standards de qualité, et surtout d’encourager tous les acteurs de la filière à réfléchir et à échanger sur leur démarche. La question du score est actuellement l’élément prégnant pour définir un café de spécialité. Mais même s’il se veut le plus impartial possible, le score pose de nombreuses questions notamment sur le point d’entrée à 80/100 qui apparaît pour certains insuffisant. Selon moi, si le score permet d’assurer un certain standard de qualité, la note a un caractère faussement évident et trop rigide pour un produit vivant qu’est le café.
Forêt caféière dans le terroir d’Odo Shakiso en Ethiopie
Beaucoup d’autres éléments doivent être valorisés et mis en avant, concernant la traçabilité et la torréfaction évidemment, mais également des critères qui jusqu’ici ont peu été mis en avant par la SCA (Specialty coffee association) comme la durabilité ou les aspects socio économiques de la chaîne de production. La SCA peut développer sa réflexion en s’appuyant sur des travaux variés (notamment sur l’agroforesterie) et sur des initiatives locales nombreuses témoignant des rapports de plus en plus étroits entre producteurs et acheteurs. L’engouement pour le café de spécialité n’est pas prêt de retomber et il pousse de plus en plus d’acteurs à collaborer et enrichir la fiche d’identité de chaque café, ce qui est probablement le meilleur moyen d’élever la qualité et la connaissance du vaste monde du café.